Aline Bsaibes, directrice générale d’ITK : « nous avons les moyens d’aider l’agriculteur à ajuster ses pratiques face au dérèglement climatique »

ITK conçoit des outils d’aide à la décision destinés aux agriculteurs. L’été dernier, ses solutions logicielles qui utilisent l’IA pour prévoir et optimiser et rentabiliser au mieux les productions ont notamment aidé les agriculteurs, viticulteurs et éleveurs à faire face à la canicule. Le nouveau service assurantiel déployé cette année a aussi soulagé des centaines d’exploitations en France. A bientôt 20 ans, ITK a gagné une réputation internationale dans le milieu de l’agriculture connectée qui s’appuie sur une expertise scientifique de haut niveau, sur l’innovation, mais aussi sur une capacité à comprendre et intégrer les contraintes économiques des agriculteurs, ses clients finaux.  Aline Bsaibes dirige cette entreprise (100 salariés ; CA : 10 M€) basée à Clapiers dans l’Hérault. 20 % de croissance s’annonce pour 2022, et le rythme de développement sera le même pour 2023.

Aline Bsaibes, directrice générale d'ITK.

Aline Bsaibes, directrice générale d'ITK.

Comment concevez-vous vos services d’aide à la décision ?
« Nos solutions prennent la forme de recommandations. Puisque le cerveau humain ne peut pas prendre en compte l’ensemble des enjeux et des facteurs qui vont impacter la production d’un agriculteur, d’un viticulteur, ou d’un éleveur, nous recourons à l’intelligence artificielle. Nous développons des algorithmes mathématiques qui permettent d’accompagner au mieux l’agriculteur. On ne se substitue pas au conseiller ou à l’agriculteur qui a bien d’autres compétences mais on vient lui donner des indicateurs qui mixent un maximum de données :  climat, état de la plante, pression des maladies, manque de nutrition, exigence de qualité et quantité de ce qu’on doit produire, impact environnemental, de ses pratiques, contribution à du stockage de carbone dans le sol, ou à diminuer les émissions, etc. On ne se contente pas d’images satellitaires et de monitoring, on va faire des prédictions et proposer des solutions.

L’objectif, c’est l’amélioration du rendement ?
ITK, c’est un outil scientifique mais aussi économique. On va trouver le compromis idéal, mais sans maximiser le rendement à tout prix. La décision finale revient à l’agriculteur. Notre but est de lui proposer des actions qui peuvent atténuer le risque. On calcule l’impact potentiel d’une solution avec une notification de quantification (par exemple quelle perte induite). Avec nos outils,  nous avons les moyens d’aider l’agriculteur à ajuster ses pratiques face au dérèglement climatique.

Le métier d’agriculteur est plus complexe aujourd’hui ?
Trois choses ont changé avec le temps : la première, c’est le nombre de gens à nourrir sur la planète et on est aujourd’hui dans une course de productivité. Or, on a de moins en moins de terres agricoles et la ressource en eau est de plus en plus limitée. Tous les 10 ans on perd l’équivalent d’un département de France de terre agricole à cause de l’urbanisation. En résumé :  plus de gens à nourrir mondialement avec moins de ressources. C’est un enjeu énorme.  Autre élément important, le changement climatique qui impacte la production. Les scientifiques du Giec nous disent que les aléas d’aujourd’hui seront la normalité dans dix ans. Enfin, la révolution chimique, démarrée dans les années 1960, n’est plus acceptée par les consommateurs.

Il faut donc changer sa façon de produire ?
L’agriculteur qui a appris les ficelles du métier par transmission familiale travaille aujourd’hui dans une toute nouvelle donne. Les règles ont changé avec des consommateurs qui ont une conscience plus aigüe sur la qualité et sur la préservation de l’environnement. Donc plus de contraintes et de pressions pour l’agriculteur, aussi sujet à des événements climatiques de plus en plus fréquents. Attention aux raccourcis : il ne faut pas penser que l’agriculteur polluait à outrance, qu’il n’avait pas la conscience de la terre. Au contraire, c’est la personne la plus attachée à la terre, qui la connaît la mieux… Mais il faut tout de même l’aider à gagner sa vie avec son travail !

Comment les aidez-vous ?
Pour que l’agriculteur puisse suivre ces nouvelles dimensions agronomiques tout en trouvant un modèle économique viable, nous l’aidons à mesurer l’impact de ses décisions.  Exemple : « si vous appliquez tant d’azote à telle date, vous avez un retour sur investissement positif ou pas ». Il ne faut pas que l’ajout d’azote coûte plus cher que le surplus de rendement généré…  L’idée est aussi de l’aider à continuer à respecter sa terre et à garder sa durabilité.

La durabilité des terrains agricoles, c’est l’enjeu ?
Oui tout à fait. La durabilité va devenir un critère de valorisation des terres. On parle aujourd’hui d’agriculture régénérative, avec des pratiques de fertilisation organique, de cultures intermédiaires, ou d’alternance du labourage pour que les sols restent riches en activité microbienne. Un sol riche retient mieux l’eau, présente une fertilité plus forte et stocke davantage de carbone. Nos outils sont adaptés à ces pratiques.

Pouvez-vous nous présenter votre service Prevent ?
Prevent est un outil pour les cultures et l’élevage qui va alerter de l’arrivée du gel ou de la sécheresse mais surtout de l’impact que cela peut avoir sur une parcelle, en fonction de l’état de la plante et d’un tas d’autres critères non climatiques.  Avec Prevent, on est en mesure de donner aux agriculteurs des recommandations de prévention. Parallèlement, sur l’élevage laitier, on a mis en parallèle une garantie d’assurance paramétrique.

Vous vous lancez dans l’assurance ?
Pas tout à fait, mais c’est vrai que l’on travaille de plus en plus avec des assureurs et réassureurs pour optimiser nos services et pour favoriser la prise de conscience de risques du côté des agriculteurs et éleveurs. Je vous donne un exemple pour l’élevage des vaches :  en fonction de la race de vaches, de la région d’implantation, du cumul de température et d’humidité, on sait que la vache va être impactée. Quand il y a canicule, la vache va produire moins, y compris après cette période. Or ce niveau amoindri de production de lait en période de post-canicule n’était jusqu’à présent pas anticipé financièrement. On a travaillé avec des assureurs pour pousser un service de garantie. Cet été, il y a eu des dépassements des seuils à plusieurs reprises jusqu’à septembre dans des régions inattendues comme la Normandie ou la Bretagne. Via notre nouveau service de garantie basé sur des indices scientifiques certifiés, la prime est déclenchée, sans passage d’experts. C’est plus rapide et moins onéreux à mettre en place. Ce n’est pas une couverture totale de la perte, mais c’est une garantie affinitaire. Ce service s’appelle HeatAdapt. Ce sont plus de 170 000 euros d’indemnisation qui vont sortir cette année. En 2022, nous avons 1000 exploitations bénéficiaires de HeatAdapt avec une indemnité pouvant aller jusqu’à 900 euros par exploitation.

Comment va se développer ce nouveau service HeatAdapt ?
Nous propageons nos services vers les Etats-Unis et l’Europe avec l’Irlande et la Grande Bretagne. Des pays où nous sommes déjà présents avec nos autres services : les Etats-Unis pèsent quasi la moitié de notre CA. On est en train de voir avec l‘assurance comment on peut décliner l’offre HeatAdapt, la diversifier, lui attribuer des seuils différents. On cherche à voir, en fonction des nouvelles zones géographiques sur lesquelles on est, quels sont les risques que les assureurs veulent bien prendre. »


 

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