Arthur Lopez (Osedea Toulouse) : "La pandémie a accéléré l'implémentation du télétravail en France"

Chaque mois, Entreprises Occitanie propose à un chef d'entreprise adhérent au Medef de Haute-Garonne de commenter, par l'intermédiaire d'une tribune libre, le contexte social et économique. Arthur Lopez, qui a ouvert le bureau à Toulouse d'Osedea, entreprise internationale de développement de logiciel sur-mesure basée à Montréal (Canada), évoque les conséquences de la pandémie sur le bien-être au travail et la révolution engendrée par le télétravail.

Pour Arthur Lopez, qui gère le bureau d'Osedea à Toulouse, la France devrait s'inspirer de l'exemple nord-américain dans le rapport au travail.

Pour Arthur Lopez, qui gère le bureau d'Osedea à Toulouse, la France devrait s'inspirer de l'exemple nord-américain dans le rapport au travail.

Il existe de nombreux articles sur l’entreprise post-pandémie en France, ce que cela a changé pour l’employeur et pour la vie d’entreprise, mais qu’en est-il pour l’employé et pour son bien-être ? Est-ce que la pandémie a accéléré l’implémentation du télétravail en France ? Est-ce que le télétravail améliore de façon considérable le bien-être de l’employé ? La réponse à la première question est “oui bien évidemment”. Pour la seconde question, on serait tenté de répondre oui mais connaissant le fort taux de burnout en France, cela s’avère bien plus complexe que ça. 

Un cadre strict avant la pandémie

Pré-pandémie, nous étions dans un cadre de travail assez strict et rigoureux. La présence au bureau était obligatoire et les dérogations, très rares. Non seulement le doute et la méfiance émanaient des manageurs mais aussi des collègues jaloux ou inquiets quant à la capacité réelle du télétravail de leurs pairs. Ainsi, il régnait un climat de contrôle-surveillance sur chaque employé.

Une aubaine pour les employés

Avec l’arrivée de la pandémie, c’est déplacements limités obligatoires et open-work clairement interdit : le télétravail s’installe de force dans les entreprises françaises. Pour la majorité des employés, c’est une aubaine, une chance, ou une manière d’entrer dans un monde sans limite et sans retour en arrière. Les avantages sont clairs (pas de temps perdu dans les transports, tenue vestimentaire plus flexible, plus de liberté pour gérer le foyer familial, possibilité de travailler depuis presque n’importe où…).

L’entreprise et ses managers ont les mêmes avantages mais perdent le plus important : le contrôle de leurs employés ou comment vérifier que leurs employés travaillent réellement chez eux, leur relation de confiance est donc affectée. Ils n’auront pas le choix que de l’accepter le temps de la pandémie. Les employés se sentent “mieux qu’avant” mais nous sommes encore loin de la notion de bien-être en entreprise avec un taux de burnout qui continue d’augmenter en France.

La notion de bien-être en entreprise

Comment pourrions-nous définir le bien-être en entreprise ? Aujourd’hui, on associe beaucoup cette notion à l’équilibre vie personnelle-vie professionnelle mis en place par l’entreprise. Cela va du cadre de travail (les locaux par exemple) à tous les avantages offerts aux employés afin de rendre le travail plus agréable. Le travail est, par définition, un effort, c’est pour cela que nous parlons davantage du respect de l’équilibre vie personnelle-vie professionnelle que de réel bien-être.

Le respect de cet équilibre revient à donner plus de liberté à l’employé.

Le modèle nord-américain ou canadien

J’ai travaillé les cinq dernières années au Canada, à Montréal plus exactement et j’ai découvert une autre manière de travailler. Au-delà du télétravail instauré depuis un moment, la liberté et la confiance sont des valeurs clés au sein des trois entreprises que j’ai rencontrées dans le milieu des technologies.

Un équilibre qui repose sur trois piliers

Durant ces expériences, j’ai senti que le bien-être était une valeur fondamentale pour mon employeur et que les employés étaient en mesure de trouver le juste équilibre vie personnelle-vie professionnelle. Cet équilibre reposait sur trois piliers :

  • Télétravail ou bureau : libre aux employés de choisir le format qu’il leur convient.
  • Flexibilité des horaires : avec quelques exceptions en fonction des rencontres importantes ou des obligations d’équipes.
  • Pas de dépassement d’horaire (ou très rarement) : on travaille de “9 à 5”, donc à 17h, il est normal que tout le monde rentre chez soi.

Possible au Canada… et pas en France ?

Tout d’abord car les employeurs se sont vite rendu compte que leurs employés étaient très régulièrement bien plus productifs en télétravail qu’en présentiel. La première chose à retenir est la différence de référencement : en France, on a longtemps associé le fait qu’un employé travaille au simple fait de sa présence au bureau. Ce qui est une erreur et n’aide en rien au calcul de la productivité de l’employé. Un employé ne voulant pas travailler trouvera toujours le moyen de se “cacher” de ses priorités.

Au Canada, on regarde directement la productivité des employés en mesurant les résultats obtenus. Cela implique un suivi différent pour évaluer le travail des employés afin de s’assurer que le résultat est conforme aux objectifs donnés. La finalité est la même mais la liberté pour l’employé est bien plus grande.

Ensuite, le fait d’accorder de la flexibilité dans les horaires de travail a un fort impact sur le bien-être de l’employé ainsi que sur sa productivité. En plus de permettre à l’employé de rattraper ses heures un peu plus tard dans la journée ou dans la semaine, il permet aussi de maximiser nos moments de forte concentration.

Prendre en compte le momentum

En effet, nous bénéficions tous d’un moment dans la journée où notre productivité est forte, c’est ce qu’on appelle notre momentum. La flexibilité des horaires vise, en partie, à se servir de ce momentum pour délivrer un maximum de travail. Comme nous sommes tous différents, la flexibilité accordée permet d’ajuster nos horaires de travail en fonction de notre profil. Par exemple, j’ai rencontré des personnes qui aiment travailler les dimanches, ou encore des développeurs qui préfèrent programmer de nuit. Il est compréhensible qu’une personne ayant un momentum dans la soirée ou dans la nuit serait bien moins productif en matinée. Alors pourquoi obliger tout le monde à commencer à la même heure et effectuer les mêmes horaires de travail ?

De plus, le respect des horaires est un travail à faire conjointement avec les managers et les clients. Challenger les deadlines pour les comprendre est une obligation, gérer le risque en cas de potentiel retard en est une autre. En combinant les deux, on arrive très régulièrement à des terrains d’entente, permettant de respecter les horaires de travail contractuels et donc la vie personnelle des employés.

Trouver le juste équilibre

Enfin, les espaces de travail ont dû être repensés pour les rendre plus confortables et plus attractifs pour les employés : pas de place fixe attribuée, des espaces de réunion pour s’isoler, des salons confortables, des espaces pour “déconnecter”, des évènements plus réguliers, etc. L’objectif reste d’encourager les employés à se rendre sur le lieu de travail de temps en temps pour collaborer efficacement et participer à la cohésion d’équipe. Ces libertés offrent à l’employé les moyens nécessaires pour trouver le juste équilibre entre sa vie personnelle et ses obligations professionnelles. Cet équilibre doit contribuer au bien-être de l’employé en diminuant notamment son stress et la charge émotionnelle associée.

Les entreprises canadiennes ont compris toute l’importance de prendre soin de l’état de santé et physique de leurs employés afin de mieux les fidéliser et d’obtenir de meilleurs résultats. Make your dreams come true : programme récompensant la fidélité d’un employé en lui offrant deux semaines de congés supplémentaires + un chèque de 5000 dollars pour réaliser un de ses rêves. Renouvelable tous les 5 ans.

Les limites du système

Le modèle canadien a démontré de nombreux avantages pour l’employeur et l’employé mais n’est pas sans risque. Ces nouvelles manières de travailler ont créé d’autres problèmes auxquels il faudra répondre. En voici quelques-uns :

  • Un système inéquitable : tout le monde ne peut pas avoir accès aux mêmes avantages car certaines personnes, même dans le milieu des nouvelles technologies, ne peuvent pas se permettre d’être en télétravail (entrepôt) ou de bénéficier de la flexibilité des horaires de travail (support client).
  • Le danger du multitask : nous connaissons tous les multiples avantages du multitask surtout durant les visioconférences. Ceci dit, le manque de concentration est un réel problème sur l’efficacité de certains meetings.
  • La confiance mise à rude épreuve : le système est basé sur la confiance entre l’employeur et son employé et les employés entre eux. Une absence de réponse ou une réponse tardive peut vite remettre en question toute cette relation de confiance.
  • Des bureaux vides : en laissant le choix aux employés de venir ou pas au bureau, on peut vite être confronté à la situation des bureaux vides. Ce qui peut démotiver certains ou inciter l’employeur à résilier son bail et donc entraîner d’autres problèmes.
  • Risque d’isolement ou mauvais choix : comment s’assurer que l’employé prend la bonne décision ? La situation familiale peut être compliquée, l’espace de travail pas adapté mais plus encore il existe un risque d’isolement notamment de la part des personnes seules. L’entreprise 100% télétravail (sans lieu de travail) est donc également un risque. Bien qu’il soit important de laisser la liberté à l’employé de décider ce qui est le mieux pour lui, il faut l’encourager à se rendre sur son lieu de travail de temps en temps.
  • La collaboration repensée : il faut donc trouver des nouvelles alternatives avec les outils disponibles pour repenser et optimiser la collaboration à distance.
  • Equipement hybride : bien entendu, pour que tout ce système fonctionne correctement, il faut que l’équipement soit adéquat, tant au niveau matériel que les outils déployés par les entreprises.
  • Culture d’entreprise et cohésion d’équipe : il faut encourager les employés à se rendre sur le lieu de travail (de temps à temps) mais non les obliger. Cela participe à la cohésion d’équipe et renforce leur attachement. Ceci dit, il faut tout de même réfléchir à de nouvelles manières de développer cette culture d’entreprise et entretenir la cohésion des équipes à distance.

"Nous vivons actuellement ce changement"

Créer du bien-être pour les employés revient à leur donner plus de liberté et de confiance et permettre ainsi un meilleur équilibre vie personnelle-vie professionnelle. Ces démarches ont un réel impact sur la santé de l’employé (et les risques de burnout) ainsi que sur la productivité de ce dernier. Cela demande une nouvelle réflexion sur la culture d’entreprise et la cohésion des équipes à distance dans le but de les fidéliser.

Ce sont les challenges d’aujourd’hui et nous en sommes les acteurs. Nous vivons actuellement ce changement et j’encourage les entreprises à proposer/essayer de nouvelles méthodes et d’en partager les résultats.

Osedea, une entreprise volontariste sur le bien-être au travail

Après une expérience au Canada, Arthur Lopez est rentré en France pour y développer les activités d’Osedea. Après Nantes (Loire-Atlantique), il s’est installé dans la Ville rose pour y ouvrir un bureau. La notion de bien-être au travail repose sur quatre axes bien précis : la flexibilité et le télétravail, l’épanouissement du salarié dans un collectif, l’harmonie travail-vie personnelle et un quatrième axe assez novateur : « L'aide au fondement d’une famille », basé sur des aides financières et, notamment, 12 semaines de congés payés par l’employeur à 100 % du salaire pour tout membre de l’équipe parentale, « Mon objectif est de partager cette expérience et cette vision pour ainsi réussir à convertir d’autres entreprises dans ce modèle-là », conclut Arthur Lopez.

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