Mobilisation économique : en Haute-Garonne, plusieurs centaines de dirigeants réunis pour alerter sur la fragilisation croissante des entreprises

Réunis au Palais des Sports de Toulouse, plusieurs centaines de chefs d'entreprises ont répondu à l’appel lancé par les forces économiques de Haute-Garonne. Dans un contexte de pression fiscale accrue, de hausse continue des défaillances, de trésoreries d’entreprises au plus bas depuis 2020, et d’un effondrement de 50 % de l’apprentissage en Occitanie, la mobilisation a mis en évidence un climat de tension sans précédent pour le tissu entrepreneurial local.

De gauche à droite : Salomé Géraud, co-fondatrice du Drive tout Nu, Mathieu Roudié, président de la fédération du BTP 31, Pierre-Olivier-Nau, président du Medef Haute-Garonne, Didier Katzenmayer, président de l'UIMM Occitanie et Nicolas Durand, président CPME 31. (Photo Dorian Alinaghi)

De gauche à droite : Salomé Géraud, co-fondatrice du Drive tout Nu, Mathieu Roudié, président de la fédération du BTP 31, Pierre-Olivier-Nau, président du Medef Haute-Garonne, Didier Katzenmayer, président de l'UIMM Occitanie et Nicolas Durand, président CPME 31. (Photo Dorian Alinaghi)

L’événement, organisé conjointement par la CPME 31, la Fédération BTP 31, le Medef Haute-Garonne et l’UIMM Occitanie, a rassemblé une diversité de dirigeants : artisans, patrons de PME, industriels, acteurs du numérique, responsables de filières, entrepreneurs du bâtiment, professionnels du service ou encore dirigeants de l’industrie manufacturière.

Tous ont souligné un constat commun : l’entreprise se retrouve aujourd’hui au cœur d’une équation devenue intenable. Entre normes successives, incertitudes politiques, ralentissement économique, pression fiscale et difficulté à anticiper les décisions publiques, le sentiment partagé est celui d’une perte de repères.

Pierre-Olivier Nau, président du Medef Haute-Garonne, l’a résumé d’une formule directe : « l’entreprise doit redevenir un repère, pas une variable d’ajustement. »

La tonalité générale était grave mais déterminée. La mobilisation s’inscrit clairement dans un mouvement de fond dont les dirigeants souhaitent qu’il s’étende au national.

Des chiffres qui révèlent une détérioration structurelle

Les données dévoilées lors de la rencontre ont permis de mesurer l’ampleur du choc économique en cours. Les 1 297 défaillances d’entreprises enregistrées au troisième trimestre 2025 marquent non seulement une hausse conjoncturelle, mais surtout la confirmation d’une tendance lourde. Avec +39 % en 2023, +13 % en 2024, puis encore +4 % en 2025, les statistiques dépassent désormais de 16 % les niveaux observés lors de la crise des subprimes. Cette dynamique met à mal un tissu entrepreneurial qui constitue 99 % des entreprises de la région.

La trésorerie moyenne des TPE, tombée à 15 710 euros, atteint son plus bas niveau depuis 2020. Un chiffre qui ne reflète plus un simple aléa conjoncturel, mais une érosion durable de la capacité d’autofinancement, avec tout ce que cela implique : impossibilité d’investir, difficultés à recruter, fragilisation de la relation fournisseurs, vulnérabilité accrue face aux impayés.

Le recul spectaculaire de 50 % des apprentis dans les CFA d’Occitanie est un autre signal d’alarme. Il annonce un risque majeur : celui d’une rupture de compétences, alors même que les entreprises manquent de main-d’œuvre qualifiée dans des métiers clés.

À ces constats s’ajoute une série d’éléments aggravants : des délais de paiement en rallonge, des impayés en hausse, et surtout 40 milliards d’euros de charges fiscales supplémentaires votées récemment. « On ne peut pas demander plus à un tissu économique qui a déjà absorbé l’inflation, les crises successives et les hausses de coûts », a Nicolas Durand, président de la CPMA 31.

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Un chef d’entreprise seul face à une armée de boxeurs professionnels : c’est la scène (fictive) mise en scène ce lundi au Palais des Sports de Toulouse, où les combattants symbolisé les « coups (bas) répétés portés par l’État ». (Photo Dorian Alinaghi)

Le quotidien des entreprises : résilience forcée et charge mentale croissante

Ce que les données ne montrent pas, les intervenants l’ont exprimé avec force : La résilience est devenue un mode de fonctionnement permanent. Derrière les bilans, les dirigeants parlent désormais de charge mentale, de solitude décisionnelle, de pression sur les équipes, de sacrifices personnels, et parfois même de sensation d’asphyxie administrative.

Installé à Quint-Fonsegrives où il a repris le garage Peugeot-Citroën ouvert par son père il y a quarante ans, Benoît Richart décrit un climat devenu pesant pour les petites entreprises. Il évoque une fiscalité « qui n’en finit plus de grimper » et des mesures liées au secteur automobile — malus successifs, taxes environnementales — qui, selon lui, fragilisent profondément la profession. Malgré ce contexte, il reconnaît que la situation « met les nerfs à rude épreuve », mais rappelle qu’il faut continuer à avancer.

Plusieurs autres témoignages ont illustré cette réalité : des entreprises qui mettent des années à se verser un salaire, des dirigeants qui s’endettent personnellement pour préserver l’outil de production, des patrons qui « tiennent » malgré tout, mais admettent que « le seuil de rupture n’a jamais été aussi proche ».

La dimension humaine de la crise est apparue aussi importante que la dimension économique. 

Le logement : un frein silencieux mais déterminant à l’activité économique

La question du logement, rarement mise en avant dans les débats économiques, s’est imposée comme un véritable facteur de blocage.

Certaines entreprises témoignent de difficultés à recruter faute de logements disponibles, accessibles ou suffisamment proches des bassins d’emploi. Les salariés peinent parfois à trouver un logement en moins de six mois, quand d’autres se retrouvent contraints de s’éloigner, rallongeant les trajets et fragilisant leur stabilité professionnelle.

Pour les dirigeants du BTP présents, cette situation accentue un paradoxe : « les entreprises qui construisent peinent à loger leurs propres salariés. Le déficit de logements devient un frein direct à la compétitivité territoriale », exprime Mathieu Roudié, président de la fédération du BTP 31.

Innovation et IA : levier d’espoir ou nouvelle pression ?

La mobilisation a également mis en lumière une autre transformation majeure : l’intégration de l’intelligence artificielle dans les entreprises. Les dirigeants reconnaissent son potentiel : création de contenu, automatisation, efficacité, analyse des données, optimisation des processus. Mais ils soulignent aussi les risques associés : instabilité technologique, perte de maîtrise sur les données, dépendance aux outils étrangers, besoin de montée en compétences rapide, absence de moyens financiers pour suivre le rythme.

Magali Germond, vice-présidente au numérique responsable et éthique chez Digital 113 a résumé la situation ainsi : « l’IA peut faire gagner du temps, mais elle ne remplacera jamais la vision du dirigeant. Encore faut-il que celui-ci ait le temps de se projeter. »

Plusieurs centaines de chefs d’entreprise ont participé à l’événement.
Plusieurs centaines de chefs d’entreprise ont participé à l’événement. (Photo Dorian Alinaghi)

La restauration, un secteur emblématique en tension extrême

Au milieu des échanges, un témoignage a mis en lumière l’une des réalités les plus frappantes : celle du secteur de la restauration. Thomas Fantini, vice-président du Medef Haute-Garonne et fondateur du groupe Maison Pergo, a rappelé que ce secteur, pourtant pilier de la vie économique et sociale, traverse une période d’une rare intensité. Il a été indiqué que près de 25 restaurants ferment chaque jour en France, un chiffre qui traduit la violence du contexte pour des établissements déjà fragilisés par les crises successives, l’inflation et la hausse généralisée des charges. Les professionnels ont également évoqué une baisse d’environ 20 % de l’activité dans certains segments, un recul qui pèse directement sur la trésorerie, la capacité d’embauche et la viabilité même de nombreux établissements.

Cette contraction du secteur ne se résume pas à une dynamique conjoncturelle. Elle correspond à une remise en cause profonde de la chaîne de valeur de la restauration : coûts d’approvisionnement, coûts de l’énergie, salaires revalorisés, exigences réglementaires accrues, toutes ces composantes convergent vers une situation où les marges s’amenuisent au point de rendre impossible la projection à moyen terme.

Compétences, transmission et apprentissage : un pilier fragilisé
Au cœur de la mobilisation, la question des compétences a fait l’objet d’une attention particulière. La baisse spectaculaire de l’apprentissage en Occitanie est perçue comme une menace pour la continuité des filières, notamment dans l’industrie, la construction, l’hôtellerie-restauration, l’artisanat et le numérique. Les acteurs de terrain soulignent que la transmission est un élément central de la compétitivité française. Privées d’apprentis, certaines branches courent le risque d’une casse de compétences difficilement rattrapable. « Sans apprentis, on perd les métiers ; et sans métiers, on perd la souveraineté », a affirmé Thomas Fantini.

Instabilité, visibilité et confiance : la demande principale des entreprises

Au-delà des enjeux sectoriels, une aspiration commune s’est dégagée : le besoin de visibilité. Les dirigeants dénoncent une instabilité réglementaire qui rend tout investissement risqué. Entre décisions budgétaires changeantes, normes nouvelles, réformes fragmentées et annonces difficiles à anticiper, le sentiment dominant est celui d’un manque de lisibilité économique.

Pour les organisations patronales, restaurer la confiance passe par : un cadre stable, des règles compréhensibles, une cohérence entre territoires et État, et la reconnaissance du rôle économique et social de l’entreprise.

L’événement du Palais des Sports n’est pas une parenthèse mais un point de départ. Les forces économiques souhaitent désormais prolonger l’initiative, créer des espaces de dialogue réguliers, structurer des propositions et porter la voix des entreprises auprès des décideurs nationaux.

Didier Katzenmayer, président de l'UIMM Occitanie résumé l’état d’esprit des participants : « quand les entreprises tiennent, le territoire tient. Quand elles vacillent, c’est tout l’équilibre social qui se fissure. »

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