Publié par Aerospace Valley, le livre blanc « L’IA au service d’une aéronautique pérenne » dresse une feuille de route ambitieuse pour relever les défis du secteur. Mobilisant 45 experts issus de 22 organisations, cette publication éclaire les mutations à venir en matière de décarbonation, de production et de compétences.

Le livre blanc, présenté pour la première fois au Salon du Bourget avant même sa publication officielle, a suscité un vif intérêt international, poussant ses auteurs à envisager une version intégralement traduite en anglais pour toucher un public mondial. (Photo Aerospace Valley)
La filière aéronautique, fer de lance de l’économie du Sud-Ouest, fait face à un triple impératif : réussir sa décarbonation, renforcer la résilience industrielle, et repenser la montée en compétence de ses effectifs. Bruno Dahan, directeur délégué aéronautique d’Aerospace Valley, résume : « ce sont les trois piliers d’un avenir durable pour l’aviation. La décarbonation impose de repenser l’ingénierie, la production et les usages. La supply chain doit devenir plus robuste. Et enfin, la transition humaine est capitale, avec plus de 600 000 pilotes et 690 000 mécaniciens à former d’ici 2043. »
Face à ces enjeux, l’intelligence artificielle s’impose comme un levier systémique, capable d’intervenir à toutes les étapes du cycle de vie aéronautique.
Une dynamique collective inédite dans la filière
À l’initiative d’Aerospace Valley, premier pôle de compétitivité européen de la filière aérospatiale, le collectif « IA pour l’aéronautique » a rassemblé pendant huit mois les cerveaux de 45 spécialistes de l’IA, de l’industrie, de la recherche et de l’innovation. Ce collectif interrégional s’est structuré autour de 22 organisations, parmi lesquelles Airbus, Dassault Aviation, Thales, Sopra Steria, Safran, Liebherr, Capgemini ou encore le Groupe ADP.
« Nous avons su créer une dynamique de coopération, là où règnent souvent la compétition ou la confidentialité », souligne Bruno Dahan.
Le fruit de ce travail collaboratif, un livre blanc de 150 pages publié par l’éditeur scientifique Cepadues, est désormais accessible sur toutes les plateformes, dont Amazon et la FNAC. Il est organisé en cinq chapitres thématiques, du contexte technologique aux recommandations stratégiques.
IA et aéronautique : des spécificités fortes, des synergies inédites
L’un des postulats majeurs de ce livre blanc repose sur l’incompatibilité d’une approche IA « générique » avec les spécificités aéronautiques. Cycles de vie longs, contraintes de sécurité extrêmes, systèmes complexes, exigences de certification et rareté des données : autant de caractéristiques qui nécessitent des modèles IA robustes, explicables et frugaux.
L’IA n’est pas une promesse abstraite. Elle est déjà à l’œuvre dans les systèmes embarqués depuis les années 1990. Mais ce qui change, c’est la puissance de calcul, la sophistication des modèles génératifs et la connectivité des aéronefs, ouvrant la voie à des cas d’usage nouveaux : optimisation des trajectoires de vol, planification des opérations, détection des pannes, ou encore analyse des traînées de condensation pour réduire l’empreinte climatique.
Cycle de vie de l’avion : une transformation de bout en bout
La chaîne aéronautique est réinventée par l’IA, de la conception à l’exploitation. En phase de design, l’intelligence artificielle accélère les simulations, propose des architectures alternatives, et automatise les vérifications réglementaires. En production, elle fluidifie la supply chain, anticipe les défauts qualité et réduit les interruptions grâce à la maintenance prédictive.
« Sur le plan de la livraison, l’IA améliore la production documentaire, la traçabilité et la relation client. Et même au stade du démantèlement, elle participe à l’optimisation des ressources et des impacts environnementaux », précise Bruno Dahan.

Une aviation plus connectée, plus intelligente, plus durable
La dimension opérationnelle n’est pas en reste. Le livre blanc consacre un chapitre entier aux apports de l’IA dans les vols, le contrôle aérien, la maintenance et les aéroports. Trajectoires 4D optimisées en fonction de la météo, prédiction des conflits de trafic, orchestration des ressources dans les hubs aéroportuaires, agents conversationnels pour les passagers : autant de champs où l’IA joue un rôle de boussole, conciliant performance et sobriété énergétique.
L’IA agit aussi comme un copilote numérique. Elle assiste le pilote dans ses décisions, sans le remplacer. « L’expérience humaine reste irremplaçable dans des situations non anticipées. L’objectif est d’augmenter le facteur humain, pas de le substituer », rappelle Bruno Dahan.
Certification, confiance et souveraineté : les conditions de l’envol
L’intégration de l’IA dans un secteur aussi normé que l’aéronautique suppose des avancées majeures en matière de certification. L’EASA, via l’AI Act, travaille à structurer des cadres réglementaires adaptés. Des programmes comme Confiance.ai ou DEEL (porté par ANITI) développent des méthodologies pour rendre les modèles IA explicables, sûrs et compatibles avec les exigences de sûreté aéronautique (DAL A, DAL B…).
La frugalité énergétique et la souveraineté technologique sont également au cœur des préoccupations. « Le cloud et les LLM posent des questions de dépendance. Il faut aussi inventer une IA à la mesure de nos contraintes, embarquée, sobre, et contrôlable. »
Six leviers d’action pour structurer la transformation
Le collectif formule six leviers d’action structurants, parmi lesquels la création de corridors d’expérimentation IA sécurisés, l’instauration d’une gouvernance claire (Direction des Agents IA), l’intégration systématique de l’acceptabilité sociale dans les projets, ou encore la constitution d’un registre commun des usages de l’IA dans la filière. Autant de conditions nécessaires pour inscrire l’IA dans une trajectoire collective, éthique et performante.
Loin d’être un simple rapport technique, ce livre blanc se veut une boussole stratégique pour la filière. « Il ne s’agit pas de céder à la mode de l’IA, mais de la maîtriser pour conserver notre leadership mondial », conclut Bruno Dahan.
Portée par un écosystème d’acteurs engagés, cette dynamique collective vise à faire de l’IA un atout différenciateur de la filière aéronautique française. Un levier pour bâtir une aviation plus durable, plus agile, et plus humaine.