Débris spatiaux : l’IA au cœur des nouveaux boucliers orbitaux développés à Toulouse par AIKO

Alors que près de 40 000 objets sont aujourd’hui suivis en orbite et que plus de 1,2 million de débris menacent les satellites, la question de la sécurité spatiale devient critique. À Toulouse, AIKO France pilote trois projets stratégiques – SafetySat, CASK et SARA – visant à rendre les satellites capables de détecter, décider et manœuvrer seuls face aux risques de collision grâce à l’intelligence artificielle embarquée.

Aurélie Baker, directrice France chez AIKO. (Photo AIKO)

Aurélie Baker, directrice France chez AIKO. (Photo AIKO)

La croissance exponentielle des activités humaines dans l’espace place aujourd’hui l’orbite terrestre basse sous une pression inédite. Un fragment se déplaçant à 7 à 8 km par seconde est capable de percer la surface d’un satellite, tandis qu’un débris de 1 centimètre peut provoquer sa destruction complète et générer des milliers de fragments secondaires. En 2025, environ 40 000 objets sont officiellement suivis en orbite, dont 11 000 satellites actifs, soit 18 % de plus qu’en 2020. Mais ces chiffres masquent une réalité bien plus vertigineuse : plus de 50 000 objets de plus de 10 cm, plus de 1,2 million de fragments entre 1 et 10 cm, et près de 130 millions entre 1 mm et 1 cm.

Cette saturation alimente la multiplication des « rapprochements dangereux », ces situations où deux objets se frôlent à une distance critique, imposant des manœuvres d’évitement de plus en plus fréquentes. Certaines catastrophes passées continuent encore aujourd’hui à produire leurs effets. La collision de 2009 entre Iridium-33 et Cosmos-2251, tout comme l’essai antisatellite chinois de 2007 sur Fengyun-1C ou, plus récemment, l’essai russe de 2021 sur Cosmos-1408, ont dispersé en orbite des milliers de fragments toujours actifs.

Quand l’autonomie embarquée devient un enjeu de souveraineté

Face à cette situation, le Space Situational Awareness (SSA) constitue l’outil de surveillance central, reposant sur des réseaux de capteurs terrestres et orbitaux chargés d’anticiper les collisions potentielles. Mais cette surveillance repose encore largement sur le segment sol, exposé aux latences de communication, à la rareté des données sur les objets non coopératifs et à la fenêtre temporelle réduite pour manœuvrer à temps.

L’essor de l’intelligence artificielle embarquée marque une rupture stratégique. Elle rend possible l’émergence de satellites capables d’analyser leur environnement et d’agir sans intervention humaine directe, une évolution déterminante dans un contexte orbital de plus en plus dense et contesté.

« En Europe, il manque une solution embarquée complète de prévention des collisions en temps réel. Aujourd’hui, la plupart des efforts reposent sur des systèmes terrestres dédiés au catalogage des débris ou à la planification des manœuvres, mais aucun ne garantit encore une réactivité immédiate en orbite sans intervention humaine », explique Aurélie Baker, directrice France de AIKO. « Notre ambition est de développer des logiciels capables de détecter les menaces, d’évaluer les risques et d’exécuter des manœuvres autonomes en temps réel directement à bord des satellites. »

SafetySat, la cybersécurité autonome embarquée

L’augmentation de l’autonomie des satellites impose également une montée en puissance de leur protection interne. Le projet SafetySat, financé par le CNES, répond précisément à cet enjeu. Il repose sur le développement de modèles d’IA légers et efficaces, capables de fonctionner avec des ressources embarquées limitées.

L’objectif consiste à permettre au satellite de détecter en temps réel tout comportement anormal, qu’il s’agisse d’une défaillance système ou d’une tentative de télécommande frauduleuse. SafetySat vient ainsi compléter les solutions classiques de cybersécurité en apportant une capacité de réaction autonome immédiate, sans dépendance directe au sol.

CASK, l’autonomie complète du maintien en orbite

Avec le projet CASK, AIKO s’attaque frontalement à la prévention autonome des collisions. Ce système intégré de maintien à poste et d’évitement de collision repose sur une propulsion chimique et permet au satellite de conserver sa trajectoire et d’échapper aux débris sans commande humaine directe.

Validé dans des environnements de simulation numérique haute fidélité, CASK ouvre déjà la voie à des déclinaisons futures intégrant la propulsion électrique, la gestion des constellations de satellites et de nouveaux services orbitaux. Le programme est financé par la BPI et l’ESA BIC Sud France, avec le soutien scientifique du SACLab de l’ISAE-SUPAERO, qui a permis de concevoir le simulateur de validation des algorithmes autonomes.

SARA, première barrière anti-débris dédiée aux CubeSats

Le projet SARA franchit une nouvelle étape en ciblant spécifiquement les CubeSats, ces petits satellites compacts, rapides à lancer et à faible coût. SARA vise à créer le premier système entièrement autonome d’évitement de débris pour cette catégorie de satellites.

Ce programme est conduit en partenariat avec Ion-X pour la propulsion ionique, Aldoria pour le catalogage des débris et Space Inventor pour la plateforme satellite. AIKO y apporte la brique logicielle de prise de décision embarquée, capable d’évaluer les probabilités de collision, de croiser les données orbitales et d’ajuster la trajectoire en temps réel. Les scénarios testés couvrent aussi bien les opérations nominales que la désorbitation, dans le cadre de l’initiative Zero Debris de l’ESA.

Au-delà de la prévention des collisions, AIKO engage également un projet de doctorat cofinancé avec le CNES au sein de l’ISAE-SUPAERO, consacré à la désorbitation autonome. L’étude porte sur la faisabilité technique de manœuvres de rentrée atmosphérique automatiques, même en cas d’anomalie grave, afin de réduire encore la dépendance aux stations de contrôle au sol. Cette brique scientifique complète les projets SafetySat, CASK et SARA dans une vision unifiée d’un espace plus sûr, plus autonome et plus durable.

AIKO, de Turin à Toulouse, au cœur du New Space européen
Fondée en 2017 à Turin, AIKO est née de la rencontre entre Giorgio Albano et Lorenzo Feruglio, aujourd’hui dirigeant de l’entreprise. La société s’est imposée comme un acteur de référence du logiciel deeptech pour l’autonomie spatiale, devenant dès 2019 la première au monde à démontrer un algorithme d’IA en orbite sur une mission d’observation de la Terre. L’ouverture du siège français à Toulouse en 2023 ancre l’entreprise au cœur de l’écosystème spatial national, à proximité immédiate du CNES, de Airbus Defence & Space et de Thales Alenia Space. AIKO France est aujourd’hui alumni de l’ESA BIC Sud France et du programme Business Catalyst de Thales Alenia Space. L’entreprise collabore avec le CNES, l’ESA et l’ISAE-SUPAERO, ainsi qu’avec de nombreux acteurs européens du New Space. L’équipe compte désormais plus de 60 experts répartis entre Turin et Toulouse. Depuis 2020, AIKO a levé plus de 5 millions d’euros et travaille sous contrat actif avec les agences spatiales française, italienne et européenne.

A lire aussi