Entre classicisme, audace et entrepreneuriat : l’écosystème Putelat s’impose à Carcassonne

Deux étoiles au compteur, une brasserie, deux hôtels, une activité de conseil et des expériences hors normes — jusqu’à un dîner debout au fond du gouffre de Cabrespine. À Carcassonne, Franck Putelat ne dirige plus seulement un restaurant gastronomique : il orchestre un écosystème où la précision des cuissons répond à la précision des comptes, où l’exigence artisanale se hisse au rang de stratégie d’entreprise. À l’horizon 2026, les vingt ans de la maison s’annoncent comme un manifeste : transmission, ancrage territorial, alliances avec les producteurs, et une capacité rare à étonner sans artifice.

« Au départ, il y avait un restaurant. Aujourd’hui, c’est un écosystème où chaque pièce tient les autres. » résume Le chef Franck Putelat.

« Au départ, il y avait un restaurant. Aujourd’hui, c’est un écosystème où chaque pièce tient les autres. » résume Le chef Franck Putelat.

Au commencement, il y avait une salle, un piano, une équipe resserrée et le désir têtu de tenir une ligne. Vingt ans plus tard, le périmètre a changé d’échelle. Le chef parle désormais d’univers, un mot qu’il assume pleinement. L’univers Putelat englobe la table gastronomique, l’hôtellerie, la brasserie « À 4 Temps », le conseil culinaire, mais aussi un jardin, du compost, des flux et des rituels. À ses yeux, rien n’est à la marge : la qualité d’une assiette dépend de la clarté des circuits, de la tenue de l’outil et de l’énergie des femmes et des hommes qui l’animent.

La formule est simple à dire, complexe à mettre en œuvre : tenir ensemble la signature et la rentabilité. Le chef la résume en une équation de cuisinier-entrepreneur où chaque détail compte, du geste au tableur.

« La précision que l’on exige d’un jus ou d’une cuisson, il faut l’exiger de l’entreprise. Sinon l’ensemble se dérègle. » Cette hygiène mentale — faire peu, mais au cordeau — irrigue la carte comme l’organisation.

Bocuse d’Or et MOF : méthode d’un côté, ligne d’artisan de l’autre

Dans la galaxie des distinctions, deux astres guident son cap. Le Bocuse d’Or, qu’il connaît de l’intérieur au point d’être aujourd’hui juré dégustation pour la sélection française, a façonné sa méthodologie : préparation millimétrée, gestion du temps, documentation des gestes, orchestration d’équipe. Le concours impose une écriture du travail, presque une grammaire. À l’inverse — et à parts égales — le titre de Meilleur Ouvrier de France fixe une ligne d’artisan. L’un cadre, l’autre oblige.

« Le Bocuse te construit une méthode et un esprit d’orchestre. Le MOF t’oblige à l’honorer au quotidien. Ce sont deux univers différents, mais parfaitement complémentaires. »

Cette double culture infuse sa direction d’entreprise. Elle explique sa façon de segmenter les projets, de ritualiser les contrôles, d’installer des standards non négociables, qu’il s’agisse d’un liant en cuisine ou d’un parcours client en chambre.

Sortir de la salle : le laboratoire Cabrespine

On croyait avoir tout vu des dîners hors les murs. Puis est venu Cabrespine – en synergie avec l’Office de Tourisme Grand Carcassonne à l’occasion de Vignobles en scène. Un gouffre, une humidité capricieuse, une réverbération sonore, des contraintes d’acheminement et de sécurité, une circulation de convives à réinventer. L’événement, pensé debout pour composer avec le lieu, relevait de la gageure technique et du pari sensible.

« Il ne s’agissait pas de déplacer une carte, mais de déplacer l’émotion. Faire avec le site, pas contre lui. »

Le résultat fut une parenthèse de grâce, où l’évidence technique s’efface derrière l’émerveillement. La table devient scène, le service respiration, l’assiette un chapitre de plus dans un récit qui mêle gastronomie et tourisme. L’engouement a confirmé une intuition : le public est prêt pour des formes hybrides, pourvu qu’un fil narratif relie le lieu, les produits, le geste et l’accueil.

Carcassonne, terrain d’envol et jeu collectif

La lucidité n’entame pas l’ambition. Carcassonne dispose d’atouts immenses — la Cité, le canal, un artisanat vivant, un bassin de visiteurs considérable —, mais la construction d’une place gastronomique européenne exige une dynamique collective. Le chef plaide pour une vision partagée, où la multiplication d’adresses d’excellence crée l’émulation, attire la curiosité et installe des parcours. Plus il y a d’exigence, plus le niveau général monte. À cette condition, l’évidence d’une destination « où l’on vient pour la carte postale et où l’on revient pour l’assiette » s’imposera.

Dans ce paysage, l’écosystème Putelat agit comme un accélérateur d’attractivité : continuité de service, cohérence d’expérience, capacité à proposer des formats rares. L’entrepreneur y voit une responsabilité : montrer la voie sans donner de leçon, faire la preuve par la constance.

Management de présence, transmission et grammaire commune

Derrière les projets, il y a le quotidien. Il se découpe en trois temps, presque comme un menu : opérationnel le matin, rendez-vous et arbitrages l’après-midi, piano le soir. L’agenda cadence les dégustations de cartes, les entretiens de recrutement, les points avec les fournisseurs, l’attention portée au jardin, les réglages invisibles qui font la fluidité d’un service.

« Il n’y a pas de secret, seulement un fil : écouter, corriger, recommencer. On ajuste tous les jours. »

La transmission passe par des rituels : vocabulaire commun, niveaux d’exigence partagés, gestes expliqués et répétés. Le chef insiste sur la tenue des fondamentaux — cuissons, assaisonnements, rythmes — et sur une pédagogie concrète, appuyée sur l’observation. Ce socle, dit-il, protège dans les temps chahutés et donne de l’air à la création.

2026 : vingt ans, un manifeste en plusieurs actes

L’anniversaire ne sera ni une nostalgie ni un feu d’artifice. Plutôt une ligne claire, déroulée en plusieurs actes. D’abord, un hommage aux producteurs et fournisseurs qui ont accompagné l’ascension, sous forme de rencontres et de dîners à jauge réduite, pour remettre l’échange au centre. Ensuite, des collaborations avec des signatures d’autres régions, afin de croiser les histoires, les terroirs, les méthodes. Enfin, un chantier continu d’amélioration de l’accueil, par touches discrètes, pour que l’expérience en salle, en chambre et à table reste en mouvement.

Dans l’idéal du chef, cette séquence dirait tout ce qu’il défend : la reconnaissance du travail des autres, le refus du spectaculaire gratuit, l’attention au détail qui, mis bout à bout, finit par produire une émotion durable.

L’agenda, autre passe-plat de la maison

La question revient, parfois en boutade : comment tient-il tout cela ? Sa réponse amuse autant qu’elle éclaire la méthode. « Mon agenda, je le dresse comme une assiette : trois éléments, pas plus à la fois. S’il y en a davantage, ça déborde et ça perd en lisibilité. » Derrière l’image, une règle opératoire : séquencer, prioriser, supprimer le superflu. La journée obéit à une économie de gestes. La semaine se sécurise par des plages non négociables. La saison se pense comme un calendrier culinaire où les pics d’activité donnent la cadence.

Cette sobriété n’est pas austérité. Elle libère le temps long, celui qui permet de regarder pousser, d’essayer, d’abandonner, de recommencer, bref d’installer la maison dans la durée.

Gouvernance d’entreprise : piloter, déléguer, incarner

Chef d’entreprise avant d’être figure, Franck Putelat assume le pilotage : suivi des indicateurs, entretien de l’outil, investissements utiles, choix d’implantation, qualité de vie au travail, fidélisation des talents. Il assume aussi la délégation — la seule qui vaille dans un univers d’exigence, celle qui responsabilise et qui oblige. Son style de leadership tient en peu de mots : présence, clarté, exemplarité. La cohérence, dit-il, vaut autant qu’un grand cru.

L’entrepreneur, conscient des cycles et des conjonctures, refuse les emballements. Il préfère les réglages précis aux extensions spectaculaires. Dans ce registre, l’expérience a appris qu’un outil rentable, maintenu, intelligemment dimensionné, reste la meilleure protection contre les vents contraires.

Le territoire comme boussole

Il y a chez lui un attachement qui dépasse la communication. Le territoire audois n’est pas un décor, c’est une matière vivante. Le chef en parle par produits, par métiers, par saisons. Il évoque ces artisans qui font un pain, un papier, un vitrail, et cette somme de savoir-faire qui compose une hospitalité. Le rôle de la maison est de relier ces forces sans folklore, d’en faire un récit contemporain. De ce point de vue, ses dîners-expériences ne sont pas des happenings : ils sont des ponts entre paysages, métiers et convives.

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