Gers. Aura-t-on assez de foie gras à Noël ? Voici les défis à relever pour la filière

A cinq mois de Noël, la filière foie gras prépare activement les fêtes de fin d'année 2023. Production, vaccination des canards... On a pris le pouls des professionnels, dans le Gers.

Les volumes de production de foie gras sont en baisse, et l'enjeu est de répondre à la demande toujours aussi forte des consommateurs. (Photo : Cifog)

Les volumes de production de foie gras sont en baisse, et l'enjeu est de répondre à la demande toujours aussi forte des consommateurs. (Photo : Cifog)

Les Français raffolent du foie gras : une assertion qui défie les lois du temps, des questions écologiques et des modes alimentaires. Selon une étude du Cifog, l'interprofession du foie gras, plus de 90% des Français déclarent en consommer, et 75% ne s'imaginent pas le repas de fin d'année sans foie gras à partager entre les convives !

Un plébiscite sur la consommation... mais une perte de vitesse sur la production. En 2015, année historique, plus de 37 millions de tonnes de foie gras avaient été produites, contre 16,5 millions en 2022. La faute, notamment, à plusieurs épisodes de grippe aviaire qui ont pénalisé la filière. "Les volumes de début 2023 sont plus faibles qu'en 2022. C'est plus compliqué mais nous avons réussi à faire du stock. L'abattage des canards reviendra à la normale à la Toussaint", rassure Géronima Idrac, directrice d'exploitation chez Ducs de Gascogne, poids lourd de la filière foie gras qui emploie une centaine de personnes à Gimont (Gers) et qui transforme 100 tonnes de foie gras par an.

Baisse du volume de production

La grippe aviaire, la filière apprend désormais à vivre avec depuis des années. Mais les conséquences sont aussi fâcheuses pour la coopérative gersoise Vivadour (qui regroupe 4800 agriculteurs), qui accuse une baisse de 30% de son volume de production (recul historique de -33% pour la filière dans son ensemble en 2022). Et Ducs de Gascogne n'a pas eu d'autre choix que d'augmenter ses prix de vente de 15% (le foie gras mais aussi tous ses autres produits), pour un produit qui représente à peine 10% du chiffre d'affaires de l'entreprise...

Mathieu Minvielle, technicien agricole, dans une salle dédiée au gavage des canards au sein du GAEC d'Engouaillard, dans le Gers. (Photo : Cifog)
Mathieu Minvielle, technicien agricole, dans une salle dédiée au gavage des canards au sein du GAEC d'Engouaillard, dans le Gers. (Photo : Cifog)
Comment se fait le gavage des canards ? 
Au sein de leur GAEC d'Engouaillard (Gers), créé en 1992, Alain et Véronique Lapierre, frère et soeur, sont à la fois gaveurs et céréaliers. Ils possèdent deux salles d'engraissement et 1760 places. Quand les canards arrivent chez eux pour l'engraissement, ils ont au minimum 81 jours afin de respecter l'IGP (Indication géographique protégée). "Les canards sont gavés 10 à 12 jours, à raison de deux repas par jour distants d'au moins 12h, avec de la farine de maïs broyé plus de l'eau, et la farine est chauffée dans 95% des cas", explique Alain Lapierre. L'engraissage dure en moyenne 1 à 2 secondes, le canard ayant une grande élasticité de son jabot. 
Les cages sont placées dans des salles qui possèdent des systèmes de ventilation et d'extraction d'air frais, avec une température moyenne de 22°C. L'eau est changée matin et soir

Les effets de la grippe aviaire

Après une année 2022 cauchemardesque (notamment dans les Pays de la Loire, territoire qui produit 20% du foie gras dans notre pays), la filière foie gras est-elle en difficulté, à cinq mois de Noël et des fêtes de fin d'année 2023 ? Non, estime le Cifog, qui représente plus de 3500 éleveurs/gaveurs et plus de 500 entreprises en France, et parmi elles les plus importantes en Occitanie (Ducs de Gascogne, Delpeyrat, Labeyrie...). "Après une trêve des foyers d'influenza aviaire en élevages depuis la mi-mars 2023, la France a confirmé à partir du 4 mai la présence du virus au sein de plusieurs élevages du Sud-Ouest. Des mesures de gestion ont été immédiatement mises en place afin d'assainir les foyers révélés et d'éviter la diffusion du virus vers d'autres élevages", explique le Cifog.

Selon les chiffres du ministère de l'Agriculture, le niveau d'abattage était sensiblement le même en mars 2023 par rapport à mars 2022, et de plus d'1,5 tonne en avril 2023, contre 697 kg en avril 2022. "Mais l'outil industriel est trop calibré par rapport à la production actuelle", constate Marie-Pierre Pé, directrice du Cifog.

​  Le foie gras est largement plébiscité par les Français au cours des fêtes de fin d'année. (Photo : Anthony Assémat - Entreprises Occitanie)  ​
​  Le foie gras est largement plébiscité par les Français au cours des fêtes de fin d'année. (Photo : Anthony Assémat - Entreprises Occitanie)  ​

La vaccination, un enjeu énorme

Le gros enjeu de 2023 porte un nom : la vaccination. Si les vaccins ont été un espoir puis la source de nombreux débats et de polémiques pour l'Homme au moment du Covid, ils symbolisent la panacée dans le monde animal. Cinq pays membres de l'Union européenne vont effectuer des testes expérimentaux : la France (sur les canards), les Pays-Bas (sur les poulets), la Hongrie et la République Tchèque (sur les oies) et l'Italie (sur les dindes).

"On espère que la campagne va commencer au 1er octobre, même si cela ne suffira pas pour toutes les mises en place pour Noël", dit Marie-Pierre Pé.

Le Cifog précise que "plusieurs éléments sont encore en cours d'évaluation dans la mise en oeuvre de la vaccination : la stratégie vaccinale, la mise en oeuvre de la traçabiluté de la surveillance, l"évaluation du coût et sa prise en charge". Plusieurs vaccins ont été autorisés, et les canards seront vaccinés avec deux doses, avec 28 jours d'intervalle. Avec 40 millions de canards à vacciner, ce sont pas moins de 80 millions de doses qui seront nécessaires !

Outre le nombre de doses suffisant, les professionnels espèrent qu'il y aura suffisamment de vétérinaires pour diligenter la vaccination. Le Cifog milite pour une "traçabilité des lots vaccinés par exploitation". "Les canards sont diffuseurs du virus et un canard vacciné s'effacera de la chaîne de diffusion. C'est une lueur d'espoir énorme", poursuit Marie-Pierre Pé. Une lueur qui devra être payée au prix fort : "Les premières approches financières intégrant le coût des doses, leur application, la surveillance exigée par le règlement européen indiquent un coût allant de 1 à 2 euros par tête selon les scénarios", prévient le Cifog.

De nombreuses inquiétudes

La filière foie gras espère voir le bout du tunnel et "sortir grandis de cette crise". Mais d'autres défis l'attendent, comme l'explique Bernard Malabirade, le président de la Chambre d'agriculture du Gers :

"On constate un manque de renouvellement des générations sur les filières longues et le nombre de producteurs dans les filières courtes est en baisse dans le Gers, car le cahier des charges est très exigeant. Aujourd'hui, nous comptons 500 à 600 producteurs dans le département".

Autre inquiétude qu'il manifeste : "La perte du savoir-faire", "la baisse du panier sur les produits festifs" en raison de l'inflation et la question du "potentiel commercial autour du foie gras".

Noël : "Il y aura autant de foie gras qu'en 2022"

Mais la mobilisation des acteurs permet à la filière de rester optimiste, même si les mises sur le marché de 2023 correspondront strictement à la production, sans stock. "Il y aura autant de foie gras pour Noël 2023 que l'an passé. Le foie gras est un produit plaisir, qui ne connaît pas de décrochage dans la consommation. Nous avons de beaux jours devant nous", conclut le Cifog.

Quand le foie gras était découvert... par les Egyptiens !
Le foie gras, Noël, le Gers, la gastronomie... Tous ces mots fleurent bon notre patrimoine. Mais saviez-vous que le foie gras était, aux origines, égyptien ? "Les palmipèdes sont élevés depuis la Haute Antiquité. Les auteurs anciens et les artistes célèbrent dans leurs oeuvres cette relation homme-animal comme, par exemple, les bas(reliefs égyptiens découverts dans la nécropole de Saqqarah qui montrent un valet nourrissant une oie avec des figues. Reproduisant une tendance naturelle qu'ont certains animaux, les palmipèdes en particulier, à se suralimenter afin de supporter l'hiver ou accomplir de longs trajets migratoires, les Egyptiens ont découvert le foie gras", explique le Cifog.
Les professionnels de la filière expliquent que l'élevage de palmipèdes a pris son essor économique aux XVIIe et XVIIIe siècles, au milieu des cultures nouvelles. "De tout temps, les produits provenant de palmipèdes gras constituaient l'alimentation des paysans de l'Est et du Sud-Ouest". A l'époque, Strasbourg et Toulouse se disputaient le titre de capitale du foie gras ! Un match plié depuis belle lurette...

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