À l’issue de la Rencontre des entrepreneurs de France à Paris, Samuel Hervé, président du Medef Occitanie, alerte sur une région prise dans un étau : incertitude politique, arrêt des investissements et chute des entrées en apprentissage. Il appelle à « marquer à la culotte » les parlementaires d’Occitanie pour défendre l’activité et présente les pistes du Nouveau consensus européen porté par le Front économique.

Samuel Hervé, président du Medef Occitanie. (Photo Dorian Alinaghi Entreprises Occitanie)
L’Occitanie s’est affichée en force à la REF 2025, au stade Roland-Garros, avec quelque 250 dirigeantes et dirigeants venus mesurer l’humeur du pays et dialoguer avec le gouvernement comme avec les réseaux patronaux. De ce rendez-vous, Samuel Hervé revient avec un constat sans détour : dans la région comme ailleurs, l’incertitude politique – donc budgétaire et fiscale – fige les décisions.
« Les entreprises n’investissent plus, elles thésaurisent », observe-t-il, citant des niveaux de trésorerie supérieurs à l’avant-Covid et un taux d’épargne des ménages au plus haut, autour de 19 % de leur revenu disponible. Résultat : la consommation cale et les projets attendent.
Aéronautique rassurante, agro et tourisme fragilisés
Si l’aéronautique régional reste portée par des carnets de commandes qui s’étirent sur près d’une décennie, d’autres filières encaissent le choc. Deuxième moteur exportateur, l’agroalimentaire voit se profiler des droits de douane supplémentaires pour les vins d’Occitanie et l’Armagnac, de l’ordre de 15 %, un « vrai choc pour l’équilibre des exploitations » selon le président du Medef régional. Dans l’hôtellerie-restauration, la fréquentation estivale ne compense pas la baisse du panier moyen ; les professionnels redoutent une arrière-saison atone, aggravée par des annulations de visiteurs étrangers à partir du 10 septembre, par crainte d’une journée de blocage.
Le signal le plus inquiétant touche la formation : dans les CFA de l’Éducation nationale en Occitanie, les inscriptions 2025-2026 auraient chuté d’environ 50 %. Les CFA privés enregistrent aussi des baisses de remplissage. Cette contraction est attribuée à la baisse des aides à l’apprentissage en 2025, évaluée à un milliard d’euros, qui dissuade l’embauche d’alternants et laisse de nombreux jeunes sans poste.
« Marquer à la culotte » les élus et les 35 propositions sur la table
Pour desserrer l’étau, le Medef appuie les 35 propositions du Front économique – un collectif d’entrepreneurs, d’économistes et d’experts – et entend aller les porter aux parlementaires d’Occitanie, en suivant de près les votes à l’Assemblée et au Sénat « qui ont des conséquences économiques en Occitanie ». Au menu : trajectoire de dépenses publiques, retraite avec âge pivot modulable et part de capitalisation, sécurisation des transmissions (pacte Dutreil), maintien des allégements sur les bas salaires.
« Notre système de protection sociale doit être équilibré pour être pérenne », insiste Samuel Hervé.
Le 29 août 2025, une pièce de doctrine intitulée Le Nouveau Consensus européen et le contretemps français a synthétisé ces orientations : comment sortir d’une France « à contretemps » qui a eu raison trop tôt sur la souveraineté industrielle en Europe mais trop tard sur ses réformes internes, et remettre le pays en phase avec ses voisins.
Vingt ans trop tôt en Europe, vingt ans trop tard en France : la grille de lecture
Le texte de référence formule une thèse claire : alors que l’Union bascule vers une stratégie d’investissement, de défense et de compétitivité plus volontariste, la France ne peut y prendre pleinement part sans « européaniser » sa politique économique et budgétaire. Autrement dit, aligner ses choix sur les bonnes pratiques de partenaires qui ont réformé plus tôt (Danemark, Portugal, Allemagne), afin d’investir dans l’innovation, l’industrie et la sécurité tout en rétablissant des comptes durables.
Cette bascule s’est accélérée depuis la guerre en Ukraine et le durcissement géo-économique mondial. L’Europe revoit sa politique industrielle et de concurrence, tandis que plusieurs États augmentent massivement leurs budgets de défense ; une inflexion qui rapproche l’Union des positions portées de longue date par Paris, sans que la France n’en tire tout le bénéfice faute d’avoir réformé à temps.
L’architecture proposée repose sur trois « renversements » : d’abord produire et innover davantage dans un cadre simple, lisible et compétitif ; ensuite hausser durablement le taux d’emploi (jeunes, seniors, publics peu qualifiés) ; enfin consolider les finances publiques en priorisant la dépense vers l’investissement productif. L’objectif est de rompre le cercle vicieux « croissance affaiblie – prélèvements accrus – décrochage » et de replacer la France – et l’Occitanie – dans la dynamique du Nouveau consensus européen.
Leviers concrets : éducation, talents, innovation, IA
Côté éducation, l’esprit est celui d’un « choc TIMSS » en mathématiques et sciences fondé sur l’évaluation et l’autonomie, à la manière de l’Angleterre et du Portugal, profitant d’une démographie scolaire en baisse pour réallouer les moyens et viser des gains de productivité à long terme.
Autre levier, l’amplification des talents : attirer des profils stratégiques via un guichet unique pour un visa de quatre ans renouvelable – adossé à un accompagnement logement, scolarité et fiscalité d’impatriation – afin de doubler le nombre de « Passeports talents » délivrés et retenir davantage d’étudiants étrangers en emploi après le diplôme.
La montée en gamme passe aussi par une féminisation accélérée des filières scientifiques et techniques : former 50 000 femmes supplémentaires par an en STEM ferait mécaniquement progresser la productivité et soutiendrait l’industrie, où l’Occitanie dispose d’atouts.
Enfin, l’innovation de rupture suppose d’articuler recherche publique, entreprises et marchés : relancer des « LabEx » orientés transfert, créer une bourse de données (Paris Data Exchange) pour valoriser des gisements aujourd’hui sous-exploités (énergie, mobilité, télécoms) et devenir fournisseur de données pour l’IA, plutôt que simple consommateur.
La transition ne peut réussir qu’en traitant simultanément l’offre et la demande. Cela implique d’utiliser l’avantage comparatif français d’une électricité peu carbonée et compétitive pour attirer des activités intensives en électricité (datacenters bas carbone, recyclage, électrification des sites industriels), de perfectionner l’ajustement carbone aux frontières pour préserver les exportations, et d’arbitrer les politiques selon leur coût par tonne de CO₂ évitée – des pompes à chaleur bien plus efficientes que certains chantiers d’isolation, par exemple.
Le message aux élus : des votes qui pèsent sur le terrain
À la veille d’échéances politiques et sociales sensibles, le patronat régional entend suivre de près les textes touchant la transmission d’entreprise, les allégements sur les bas salaires ou la stabilité fiscale. « Les votes ont des conséquences économiques en Occitanie », rappelle Samuel Hervé, en promettant d’aller au contact des députés et sénateurs de la région. L’objectif : éviter des signaux négatifs qui prolongeraient l’attentisme des dirigeants, aggraveraient le trou d’air de l’apprentissage et fragiliseraient encore les filières exposées.