Occitanie : la Chambre régionale des comptes alerte sur la fragilité financière des départements

Entre recettes volatiles et dépenses sociales en hausse, les départements d’Occitanie affrontent un modèle économique à bout de souffle.

De gauche à droite : Xavier Bailly, premier conseiller CRC Occitanie, Eric Darras, directeur de Sciences Po Toulouse, Valérie Renet, présidente de la chambre CRC Occitanie, Roger Rabier, premier conseiller CRC Occitanie et Isabelle Houvenaghel, présidente de la 2eme section CRC Occitanie. (Photo Dorian Alinaghi)

De gauche à droite : Xavier Bailly, premier conseiller CRC Occitanie, Eric Darras, directeur de Sciences Po Toulouse, Valérie Renet, présidente de la chambre CRC Occitanie, Roger Rabier, premier conseiller CRC Occitanie et Isabelle Houvenaghel, présidente de la 2eme section CRC Occitanie. (Photo Dorian Alinaghi)

La Chambre régionale des comptes Occitanie, présidée par Valérie Renet, a présenté, le jeudi 6 novembre, son rapport sur la situation financière des 13 départements de la région lors d’une conférence de presse organisée à Sciences Po Toulouse. S’appuyant sur les comptes 2022 à 2025, cette étude exhaustive met en lumière un constat préoccupant : la dynamique financière qui avait atteint un point haut en 2022 s’est inversée dès l’année suivante, fragilisant un modèle de financement désormais jugé inadapté aux compétences sociales que les départements assument.

Une embellie de courte durée avant le retournement conjoncturel

L’année 2022 restera celle d’un sommet économique pour les départements d’Occitanie. Les recettes fiscales avaient alors atteint 5,7 milliards d’euros, soit une progression de 13,4 % en trois ans, portée par la hausse des droits de mutation immobilière et l’attribution d’une fraction de TVA. L’épargne cumulée avait bondi à 1,24 milliard d’euros, un niveau historique, permettant à la plupart des conseils départementaux de désendetter leurs finances et de soutenir de nouveaux investissements.

Mais cette situation florissante n’aura duré qu’un temps. À partir de 2023, le marché immobilier s’est retourné : les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) ont chuté de 34 %, amputant une ressource essentielle pour les collectivités. Dans le même temps, la progression attendue des recettes de TVA s’est avérée inférieure aux prévisions. Résultat : les départements ont vu fondre leur épargne brute, passée de 1,2 milliard d’euros en 2022 à 465 millions en 2024, puis 411 millions en 2025, soit une division par trois en trois ans.

« Ce retournement brutal illustre la vulnérabilité d’un modèle fiscal trop dépendant de la conjoncture économique », souligne Valérie Renet, présidente de la Chambre régionale des comptes Occitanie.

Des dépenses sociales en hausse constante

Alors que leurs recettes reculent, les départements doivent faire face à une explosion de leurs charges, principalement liées aux dépenses sociales, qui représentent plus des deux tiers de leurs budgets de fonctionnement. Entre 2022 et 2024, ces dépenses ont augmenté de 737 millions d’euros, alimentées par l’inflation, la revalorisation salariale des agents publics, la hausse du nombre de bénéficiaires du RSA, de l’APA ou de la PCH, mais aussi par les politiques locales d’aide à la personne.

Les dépenses sociales directes ont progressé de 5,2 %, les aides indirectes de 5,4 %, et les charges de personnel de 8,4 % sur la même période. Dans certains départements, comme le Gard, l’Hérault ou la Haute-Garonne, la hausse des effectifs et des régimes indemnitaires accentue encore le poids des dépenses courantes.

« Certains choix de gestion internes, comme le maintien de politiques facultatives ou l’élargissement de primes, ont amplifié les effets du choc économique », observe la Chambre régionale des comptes.

Un modèle fiscal devenu inadapté

La suppression de la taxe d’habitation et la réforme de la fiscalité locale ont profondément modifié le panier de recettes des départements. Ceux-ci ne disposent plus d’un impôt local dont ils maîtrisent le taux : leurs ressources proviennent désormais essentiellement d’une fraction de TVA (45 %) et des droits de mutation immobilière (18 %), deux recettes extrêmement cycliques. En 2024, la part de fiscalité représentait 71,6 % des produits des départements, contre 72,8 % en 2019, confirmant une dépendance accrue à des sources instables.

« Financer des dépenses sociales rigides et croissantes avec des recettes aussi volatiles relève d’un déséquilibre structurel », avertit Valérie Renet, rappelant que la Cour des comptes nationale partage cette analyse depuis 2024.

Des situations très contrastées selon les territoires

Les treize départements d’Occitanie ne sont pas logés à la même enseigne. L’Ariège et la Lozère affichent encore une épargne brute supérieure à 17 % des recettes réelles de fonctionnement, tandis que cinq départements, le Gard, le Gers, la Haute-Garonne, l’Hérault et le Tarn, présentent une situation qualifiée de « critique ».

En Haute-Garonne et dans l’Hérault, l’épargne nette est devenue négative, respectivement de – 34,7 millions et – 43,1 millions d’euros. Ces départements dépassent désormais le seuil d’alerte fixé à dix années de capacité de désendettement. À l’inverse, l’Aveyron, les Hautes-Pyrénées ou le Lot conservent des marges de manœuvre financières, avec des ratios inférieurs à quatre années.

Cette hétérogénéité traduit la diversité économique et démographique de la région : des métropoles en forte croissance comme Toulouse et Montpellier côtoient des territoires ruraux stables mais moins exposés à la volatilité immobilière. Dans les départements attractifs, le rebond du marché post-Covid avait artificiellement gonflé les recettes 2021-2022, accentuant la chute lors du retournement de 2023.

L’investissement maintenu au prix de l’endettement

Malgré la contraction de leur épargne, les départements d’Occitanie ont maintenu un haut niveau d’investissement. Les dépenses d’équipement, qui atteignaient 782 millions d’euros en 2022, ont progressé jusqu’à 1,01 milliard d’euros en 2025, soit une hausse de 30 % en trois ans. Mais cet effort s’est accompagné d’un recours accru à l’emprunt, passé de 310 millions en 2022 à plus de 668 millions d’euros prévus en 2025. L’encours global de la dette a ainsi augmenté de 275 millions d’euros, faisant passer la capacité moyenne de désendettement régionale de 6,7 à 8,3 années.

« Les départements ont choisi de préserver leurs politiques d’investissement, mais au prix d’une fragilisation de leur trajectoire financière », analyse la Chambre régionale des comptes. Trois départements — l’Hérault, la Haute-Garonne et le Gard — ont désormais franchi le seuil critique de 10 ans.

Les mécanismes nationaux de stabilisation restent insuffisants

Les dispositifs de péréquation financière, conçus pour amortir les chocs économiques, n’ont pas suffi à corriger les inégalités entre départements. En 2024, ils représentaient 412 millions d’euros, soit 7,6 % de la fiscalité totale des départements d’Occitanie. Ces fonds profitent surtout aux territoires les moins exposés, comme l’Ariège ou la Lozère, où ils couvrent jusqu’à 15 % des recettes fiscales, contre moins de 3 % dans les départements urbains comme le Gard ou l’Hérault.
Les outils optionnels de gestion de crise, tels que le report des emprunts ou la constitution de réserves, ont été peu utilisés. En conséquence, plusieurs départements ont dû retarder le vote de leur budget 2025, faute de visibilité suffisante sur leurs recettes à venir.

Un réajustement budgétaire inévitable en 2025

Face à la baisse des recettes et à la persistance de charges structurelles, les départements les plus touchés s’engagent désormais dans une révision en profondeur de leurs politiques publiques. Certains réévaluent leurs dépenses de fonctionnement et d’investissement, d’autres renoncent à des projets jugés non prioritaires.
Mais pour plusieurs collectivités, ces efforts ne suffiront pas : le rétablissement de l’épargne nécessitera en 2025 des ajustements budgétaires encore plus drastiques, au risque de toucher les politiques sociales, cœur de leurs missions.

« Sans réforme nationale du mode de financement, les départements les plus fragiles seront contraints d’arbitrer entre l’investissement et la solidarité », alerte Valérie Renet, qui appelle à un réexamen du modèle fiscal et à une meilleure coordination entre État et collectivités.

Un signal d’alerte pour l’État et les territoires

En conclusion, la Chambre régionale des comptes souligne la nécessité d’une réflexion structurelle sur le financement des compétences sociales. Les départements, « échelon de solidarité territoriale », sont aujourd’hui pris en étau entre l’augmentation continue des dépenses d’aide à la personne et la volatilité de leurs recettes fiscales.
Cinq d’entre eux affichent déjà une situation financière tendue, et plusieurs autres voient leurs marges d’action se réduire dangereusement. « Le modèle actuel, fondé sur des ressources cycliques et volatiles, n’est plus soutenable à long terme. Il expose les politiques sociales départementales à des ajustements qui pourraient en affaiblir la portée », conclut la présidente Valérie Renet.

Les chiffres clés à retenir (2022-2025)
– 34 % : chute des droits de mutation à titre onéreux entre 2022 et 2024
- 411 M€ : épargne brute prévue en 2025 (contre 1,2 Md€ en 2022)
- 1,01 Md€ : montant des dépenses d’investissement prévues en 2025
- 8,3 ans : capacité moyenne de désendettement des départements
- 5 départements en situation critique : Gard, Gers, Haute-Garonne, Hérault, Tarn

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