Toulouse. Les acteurs du logement alertent : « Nous sommes désormais dans une crise sans précédent »

Lundi 9 octobre 2023 au sein de la FFB Haute Garonne, les représentants de la construction, de l’habitat, du logement social, de l’immobilier et des entreprises en Haute-Garonne entendent porter des propositions auprès des parlementaires, à l’horizon de la prochaine loi de finances. Objectif : faire face à une "crise du logement sans précédent".

L'ensemble des acteurs du logement de la Haute-Garonne se mobilisent face à une "crise sans précédent" de la construction et du BTP. (Photo : Dorian Alinaghi - Entreprises Occitanie)

L'ensemble des acteurs du logement de la Haute-Garonne se mobilisent face à une "crise sans précédent" de la construction et du BTP. (Photo : Dorian Alinaghi - Entreprises Occitanie)

La Haute-Garonne, comme dans tout l’Hexagone, fait face à une crise du logement sans précédent depuis l'après-guerre. Les chiffres alarmants et les problèmes croissants liés au logement ont incité les acteurs du secteur de la construction, de la rénovation énergétique et du logement à partager leurs préoccupations et propositions pour éviter une crise sociale, économique et citoyenne majeure. Cette crise est marquée par une pénurie de logements, une hausse des prix de l'immobilier, des difficultés d'accès au crédit, et bien plus encore.

Des problèmes multiples contribuant à la crise

Le pouvoir d'achat des ménages est mis sous pression par la part prépondérante de leur budget consacrée au logement, atteignant jusqu'à 68 % des dépenses pré-engagées selon la Direction de l'information légale et administrative (DILA). Cette pression s'intensifie avec l'augmentation des dépenses contraintes, notamment celles liées à l'alimentation et à l'énergie, en raison de l'inflation.

La croissance démographique continue en Haute-Garonne, avec un solde positif de 9 000 à 10 000 habitants supplémentaires chaque année, accentuant davantage la demande de logements. Cependant, l'offre de logements reste largement insuffisante pour répondre à ces besoins croissants.

Selon des études de l'Union sociale pour l'habitat (USH) et de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), la France aurait besoin de construire plus de 500 000 logements chaque année, dont 200 000 dans le parc social, pour résorber la crise d'ici 2040. En Haute-Garonne, il faudrait construire environ 13 000 logements collectifs et individuels par an pour répondre à la demande, toutes catégories confondues (logement social et logement libre). Cependant, la production de logements neufs est bien en deçà de ces besoins, avec seulement 9 300 logements commencés au cours de la dernière année.

Pierre Aoun, vice-président FPI Toulouse Occitanie, précise :

"L'accès au logement neuf est également en chute libre, avec une baisse drastique de la production, en particulier dans l'habitat collectif et les maisons individuelles. Cette tendance est attribuée en partie à la réduction des capacités d'emprunt des ménages, qui ont été fortement affectées par l'augmentation des taux d'intérêt, passant de 1,06 % à fin 2021 à près de 4 % actuellement. Les prêts immobiliers aux particuliers pour le logement neuf ont chuté de 43 % en glissement annuel à fin juillet 2023."

La primo-accession en péril et le marché locatif en crise

La situation est particulièrement préoccupante pour les primo-accédants, car la perspective de devenir propriétaire devient de plus en plus inaccessible. Les niveaux de diplômes plus élevés et une bonne insertion professionnelle ne suffisent plus à garantir l'accession à la propriété. La part des primo-accédants dans les acquisitions diminue constamment.

"Le marché locatif privé ne parvient pas non plus à répondre à la demande croissante, avec une offre en déclin et une demande en hausse. En Occitanie, au cours des 12 derniers mois, on constate une réduction de 37 % des offres, tandis que la demande augmente de 16 %. Cette situation découle en partie des blocages sur l'accession à la propriété, car les locataires ne peuvent pas acquérir leur logement en raison de la hausse des taux d'intérêt et du manque d'accès au crédit", ajoute Marie Unal de Capdenac, présidente AIOC ingénierie Midi-Pyrénées

Le coup de rabot sur le prêt à taux zéro (PTZ)

Les récentes restrictions envisagées sur le prêt à taux zéro neuf (PTZ) ont des répercussions majeures sur la maison neuve, qui représente plus des deux tiers des PTZ distribués dans le neuf. Les territoires hors métropoles et grandes villes, qui représentent 93 % des communes en France, sont particulièrement touchés.

"Les bénéficiaires du PTZ, qui sont en grande majorité des ouvriers et des employés, voient leurs espoirs de devenir propriétaires s'évanouir. Cela pourrait bloquer une partie significative de la société française dans sa trajectoire de vie, avec des conséquences potentiellement explosives sur le plan social."

La file d'attente pour le logement social s'allonge

La demande de logements sociaux en Occitanie a atteint un seuil alarmant, dépassant les 186 000 personnes ou familles, contre moins de 120 000 il y a dix ans. En Haute-Garonne, on compte environ 54 000 demandeurs. L'indicateur de pression de la demande, qui mesure le rapport entre l'attribution d'un logement et le volume de la "file d'attente", ne cesse d'augmenter.

"Au niveau national, la production de logements sociaux pourrait passer sous la barre des 85 000 unités en 2023, ce qui est bien en deçà des besoins. En Haute-Garonne, l'objectif de production pour l'année en cours est de 3 367 logements locatifs sociaux, alors que les besoins sont estimés entre 4 000 et 4 500 par an", explique Sabine Veniel le Navennec, directrice habitat social en Occitanie.

La crise du logement en Haute-Garonne est une réalité préoccupante qui nécessite une action immédiate et coordonnée de la part des autorités et des acteurs du secteur. L'absence d'objectifs chiffrés de production de logements sociaux et l'incertitude entourant l'avenir des aides à la pierre et des taux de TVA réduits représentent un défi majeur pour le logement social.

Des coûts de construction en hausse

Les coûts de construction ont enregistré une augmentation significative de + 29,1 % entre 2022 et 2021, selon la Fédération Française du Bâtiment (FFB) Pôle Habitat. Cette hausse est attribuable à plusieurs facteurs, notamment l'envolée des prix des matériaux de construction, les nouvelles normes de construction, la flambée des prix de l'énergie et l'inflation généralisée.

"Parallèlement, le nombre de permis de construire délivrés est en nette baisse, créant un déséquilibre entre l'offre et la demande de logements. À titre d'exemple, dans l'aire urbaine toulousaine, la moyenne mensuelle de permis accordés a chuté d'environ 30 % au cours des sept premiers mois de 2023 par rapport à 2022", spécifie Sébastien Benet, président de la FNAIM 31.

La pénurie de foncier et l'objectif zéro artificialisation nette (ZAN)

L'actuelle pénurie de terrains disponibles pour la construction de nouveaux logements sera exacerbée par l'objectif gouvernemental de réduire de moitié l'artificialisation des sols d'ici 2030, le zéro artificialisation nette (ZAN). Cette mesure vise à préserver les espaces naturels et agricoles, mais elle crée des défis supplémentaires pour la construction de logements.

Les logements dits « vacants », une fausse solution

"Le gouvernement avance l'idée d'une mobilisation des "logements vacants" pour répondre à la crise, mais cette solution est loin d'être idéale. En réalité, la majorité de ces logements vacants se trouvent dans des communes où la demande est faible, voire inexistante. En zone tendue, ils ne représentent que moins de 0,8 % des logements en France (soit 300 000 unités, source ministère de la Transition écologique)", déclare Emile Noyer, président FBTP31.

De plus, une grande partie de ces logements n'est pas réellement disponible en raison de contraintes financières des propriétaires, de blocages de successions en indivision, et d'autres facteurs. Le stock de logements vacants ne peut donc pas fournir une réponse adéquate à la demande croissante de logements.

La rénovation énergétique ne suffit sas

La France s'est fixé des objectifs ambitieux en matière de rénovation énergétique depuis plus de 15 ans, mais elle peine à les atteindre. Les autorités doivent aller au-delà des objectifs affichés, comme les 700 000 rénovations lourdes par an, car seulement environ 70 000 rénovations sont effectuées chaque année en France.

"La rénovation énergétique n'est souvent pas suffisante pour amener les logements à un niveau conforme aux exigences "bâtiment basse consommation" (BBC) à l'horizon 2050. Les coûts élevés, la complexité des dispositifs d'aide, et les délais de paiement pour les professionnels de la rénovation énergétique contribuent à ce problème", signale Mathieu Roudie, président assesseur FBTP31.

Des conséquences sur la vie des habitants et l'emploi

La pénurie de logements touche en premier lieu les plus jeunes, les plus vulnérables, et une part croissante des classes moyennes. De nombreux salariés se retrouvent dans des situations précaires, tels que vivre dans leur voiture en attendant un logement ou résider dans des campings. Pierre-Olivier Nau, président du Medef 31, et Vincent Aguilera, président de la CPME 31, tenaient à rappeler ce fait :

"La mobilité professionnelle est également entravée par le manque de logements abordables à proximité du lieu de travail. Les entreprises éprouvent des difficultés à recruter des salariés dans ces conditions. Les travailleurs qui doivent s'éloigner de leur lieu de travail perdent en qualité de vie et en pouvoir d'achat en raison des dépenses contraintes de carburant. De plus, la crise du logement a des répercussions sur l'emploi. En Haute-Garonne, on observe déjà une augmentation des défaillances d'entreprises du bâtiment, avec une progression de + 51 % en 2022, ce qui affecte 734 salariés. En arrêtant la construction de logements neufs, 114 000 ventes ont été perdues à fin juin 2023 par rapport à 2021, menaçant ainsi 250 000 emplois dans tous les territoires dès 2024. La crise du logement en Haute-Garonne est un problème complexe avec des conséquences étendues sur la vie des citoyens et l'économie locale. La coordination des efforts entre les acteurs du secteur, les autorités et la société civile est indispensable pour atténuer cette crise et créer un avenir plus stable pour tous".

Le logement au cœur des enjeux sociaux et économiques

Au fil des années, le logement des classes moyennes a été soutenu par des politiques d'incitation à l'investissement immobilier locatif, avec des dispositifs tels que Méhaignerie, Quilès, Périssol, Besson, Robien, Borloo, Scellier, Duflot, puis Pinel. Cependant, le dispositif actuel, en place depuis 2015, va être supprimé d'ici la fin 2024, sans qu'aucun successeur ne soit annoncé.

De même, le prêt à taux zéro (PTZ), en place depuis 1995, a permis à des centaines de milliers de ménages aux revenus modestes d'accéder à la propriété. Restreindre le PTZ neuf aux grandes zones urbaines risquerait de creuser le fossé entre les territoires ruraux et les grandes villes, affectant ainsi une grande partie de la population.

"Le logement est un enjeu essentiel pour la vie de nos concitoyens, mais il revêt également une importance économique majeure. En 2021, l'État a collecté 89 milliards d'euros en lien avec le logement, tandis que les dépenses publiques pour ce secteur s'élevaient à seulement 39 milliards d'euros, générant un excédent de 50 milliards. Cependant, dans le contexte actuel, ce statu quo n'est plus tenable." exprime Eric Vandromme, du pôle habitat FFB 31.

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Au cours des prochaines semaines, des rencontres auront lieu avec les parlementaires de Haute-Garonne et certains élus experts en logement pour formuler des propositions concrètes visant à relever ces défis complexes. (Photo Dorian Alinaghi - Entreprises Occitanie)
Les propositions aux Parlementaires de Haute-Garonne
"Face à la crise du logement sans précédent en Haute-Garonne et afin de répondre aux enjeux sociaux et économiques pressants, nous présentons un ensemble de propositions aux parlementaires de la région. Ces mesures visent à stabiliser le cadre législatif et règlementaire, à soutenir le logement social, à maîtriser les coûts de construction, à débloquer le foncier, à rétablir le dispositif Pinel, à maintenir le prêt à taux zéro (PTZ) dans le neuf, à soutenir la construction de logements sociaux, et à simplifier les dispositifs d'aide à la rénovation énergétique", annonce Emile Noyer.
On compte plus d'une dizaine de propositions. Les voici :
- Stabiliser le cadre législatif et règlementaire
- Suspendre les ponctions sur le logement social
- Mettre en place l'observatoire du coût des matériaux
- Débloquer le foncier
- Rétablir le dispositif Pinel dans sa version 2022
- Mettre en place le statut du bailleur privé
- Maintenir un PTZ pour le neuf
- Soutenir la construction de logements sociaux
- Simplifier les dispositifs d'aide à la rénovation énergétique
- Déployer la vente en l'état futur de rénovation énergétique (VEFRe)
- Permettre l'amortissement sur plusieurs années des investissements en rénovation globale
Outre ce listing, les représentants ont précisé l'importance des bailleurs personnes physiques qui dominent le parc locatif en France, détenant 57% des logements concernés en 2019. Leur rôle est d'autant plus crucial dans les zones moins tendues où l'accession à la propriété est plus difficile.

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